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Bilan d'un an de freelancing à impact : 3 choses à continuer, 2 à arrêter, 1 à tester

Dernière mise à jour : 1 oct. 2020


Et oui, déjà, cela fait un an que j'ai quitté le monde du salariat pour devenir ce que Matthieu Dardaillon, le fondateur de Ticket for Change, appelle dans son excellent livre "Activez vos talents, ils peuvent changer le monde !" un.e "freelance à impact", c'est-à-dire une personne qui "choisit de dédier une partie importante – disons plus de 50% - de son temps à des projets d'intérêt général."


Le nombre de gentils messages reçus à l'occasion de cette première bougie m'a donné envie de vous partager un bilan de mon aventure et plus précisément ce que j'ai décidé de continuer, d'arrêter et de tester pour la deuxième saison.


Ce que j'ai décidé de continuer


Ne pas transiger sur mon engagement


Avant de prendre mon envol, j'avais envisagé un temps devenir "intrapreneuse à impact" dans mon ancienne société, de celles et ceux qui arrivent à faire bouger les choses de l'intérieur. L'inertie globale du système et ses incohérences permanentes en mode "pompier pyromane" (je développe des business green sans pour autant renoncer aux activités mortifères type industrie du pétrole ou agrochimie) ont eu raison de ma motivation. Je me suis donc dit que le meilleur moyen de ne plus subir cette dissonance cognitive était de me mettre à mon compte, afin de choisir les projets sur lesquels j'allais pouvoir travailler.


Je suis donc devenue freelance à impact dans le domaine dans lequel j'évolue depuis 5 ans, suite à une reconversion : le digital learning. L'idée est de se servir de la puissance du numérique pour accélérer la formation des gens (étudiant.e.s, salarié.e.s, grand public) à des thématiques liées à la transition écologique et sociétale. En mars, j'ai même résumé ce concept en créant ma société, Savoirs Précieux.


Matthieu Dardaillon le décrit très bien dans son livre, 2 types de modèles économiques existent pour un freelance à impact :

  • le modèle hybride : être bien rémunéré.e sur des projets qui n'ont pas forcément un impact positif d'un point de vue social ou environnemental à proprement parler, afin de pouvoir se consacrer en parallèle à des projets qui ont plus de sens, mais une rémunération moindre ;

  • le modèle exclusif : vivre uniquement de missions sur des projets à impact.

J'ai choisi d'embrasser sans concession le modèle exclusif, à contre-courant des conseils prodigués par mon entourage qui me conseillait plutôt une montée en puissance progressive, pour prouver ma valeur en tant que freelance. La logique de mon côté était d'être réellement crédible auprès de mes prospects et mes clients sur mon virage dans l'impact, et surtout de me débarrasser de cette fameuse dissonance cognitive qui gâchait ma vie professionnelle depuis des années.


Je me félicite de m'être écoutée. Être pleinement alignée entre sa vie professionnelle et personnelle est un bonheur indescriptible, qui procure une énergie énorme au quotidien. Nous y reviendrons plus loin, mais depuis quelques mois, je me fais coacher. Et récemment, ma coach m'a proposé de passer le test des "ancres de carrière" d'Edgar Schein, un psychologue du travail et professeur au MIT. Cela m'a permis de confirmer que "l'ancre du dévouement" ou du sens était un de mes piliers, sans lequel je ne peux tout simplement pas m'épanouir dans mon travail. Je vous invite à faire l'exercice pour découvrir vos motivations profondes face aux travail, et surtout ensuite, à rebalayer votre parcours professionnel mais aussi scolaire à l'aune de ces ancres, c'est très éclairant.


M'appuyer sur des collectifs


Une de mes craintes en devenant indépendante était de me sentir seule. J'ai connu une période de chômage il y a 10 ans. Après un congé sabbatique de 9 mois, j'avais vaguement caressé l'idée de me reconvertir dans la cuisine. La solitude que j'ai ressentie à cette époque m'a conduite à vite reprendre le chemin du salariat.


Comme il était hors de question pour moi que mon aventure dans le freelancing se solde de la même manière, j'ai vite décidé de rejoindre des collectifs par différent moyens : prendre une place dans un espace de coworking, constituer des groupes de soutien et d'échange entre pair.e.s, faire du bénévolat pour certaines associations, rejoindre des programmes de formation de longue durée et devenir sous-traitante pour des organismes de formations.


Toutes ces expériences m'ont permis d'accéder à des opportunités auxquelles je n'aurais pas pu prétendre seule (même si ça veut parfois dire rétrocéder une partie de sa tarification, notamment en sous-traitance). Mais elles m'ont aussi permis de me nourrir de l'intelligence collective et de gagner en énergie, notamment quand certains projets se font plus difficiles. Et surtout quelle fierté d'avoir le sentiment d'avoir contribué à une aventure collective ! Que ce soit pour sensibiliser le grand public aux catastrophes écologiques (changement climatique, perte de la biodiversité etc) ou pour remotiver des personnes très éloignées de l'emploi, comme le dit le célèbre adage : "Seul.e on va plus vite (encore que...), ensemble on va plus loin".


Face à la crise économique qui pointe et qui risque de frapper encore plus durement les freelances que les salarié.e.s, je compte pour l'année qui vient suivre attentivement les avancées du Syndicat des travailleurs indépendants. Et oui car les indépendants aussi ont leurs représentants maintenant : car l’autonomie (tiens, tiens, une des mes autres ancres !) ne doit pas forcément rimer avec individualisme !


Être vigilante quant à mon équilibre pro-perso


Etant passée il y a 10 ans très près d'un burn-out, je sais combien il peut être facile de tomber dans le piège du dévouement. Et c'est démultiplié lorsqu'on évolue dans le secteur de l'économie sociale et solidaire (ESS) où l'engagement est plus fort et les plages horaires plus étendues. En effet, reposant souvent en partie sur des bénévoles disponibles uniquement en soirée ou les week-ends, les projets ont tendance à rallonger les journées des équipes permanentes. Or, aujourd'hui, j'ai deux petits êtres qui comptent sur une maman, certes engagée, mais surtout équilibrée et présente pour elles. C'est pourquoi je veille à faire rentrer mes engagements, notamment bénévoles, dans le cadre de mes journées de travail.


Ceci dit, je veille également à ne pas tomber dans l'excès inverse, comme certain.e.s d'indépendant.e.s avec lesquel.le.s j'avais échangé avant de me lancer. Le réseau renforce aussi cette vision des freelances toujours disponibles pour réceptionner un colis, étendre une machine ou gérer les sorties d'écoles. De là à basculer dans le cliché "indépendante = femme au foyer" il n'y a qu'un pas, qu'un an après je trouve toujours aussi dérangeant. Certes je ne me sens pas bien lorsque mon agenda m'éloigne un peu trop à mon goût de ma famille. Pour autant, je n'ai pas de complexe à affirmer que je bouillonne lorsque les galères de garde m'amènent à fréquenter un peu trop souvent le parc en fin de journée au lieu de travailler à développer Savoirs Précieux.



En revanche, même si, non, je ne suis pas devenue freelance pour (je cite) "m'occuper de mes filles", je dois admettre que la flexibilité que ce statut m'apporte aujourd'hui m'est précieux. J'ai également apprécié le rééquilibrage forcé qui s'est opéré du pro vers le perso lors du confinement, où j'ai vraiment eu le sentiment de voir mes filles grandir. Le test de Schein a une fois encore confirmé l'intuition que j'avais : l'harmonie entre mes deux sphères privée et professionnelle sont la condition #1 à mon épanouissement. A voir désormais comment j'arrive à maintenir cela alors que je dois consacrer beaucoup d'énergie au maintien de mon activité dans un contexte économique compliqué et incertain.


Ce que j'ai décidé d'arrêter


Me laisser gagner par le "syndrome de l'imposteur"


Un bilan c'est l'occasion de célébrer ses avancées, apprendre de ses échecs et aussi identifier des opportunités manquées. Il y a quelques semaines, j'écrivais un article sur la confiance en soi *, dans lequel j'expliquais que je n'avais que très récemment accepté de lâcher-prise et de me faire confiance dans les ateliers que je facilitais.


Il est clair maintenant pour moi que j'étais obsédée par des aspects techniques. Même si je les juge toujours importants, ils en venaient à me déstabiliser tellement que soit je m'auto-sabotais en atelier en me laissant gagner par le stress et l'énergie négative insufflés par la petite voix malveillante dans ma tête, soit je refusais parfois certaines opportunités. Notamment quand ces dernières m'exposaient trop au sein de certains collectifs. J'avais beau avoir lu l'excellent livre de Brené Brown "Le pouvoir de la vulnérabilité" et vu son TedTalks, je n'ai pas toujours accepté de me montrer mes doutes et mes failles. J'ai souvent préféré essayer de combler seule des lacunes techniques au lieu de m'appuyer sur d'autres.

Ceci dit, il y a quelques semaines, j'échangeais avec d'autres personnes qui comme moi, animent aujourd'hui des formations à la transition écologique au sein de collectifs reconnus. Et nous relevions que parfois, même si nous nous sentons légitimes dans nos activités, c'est notre réseau historique qui peut nous renvoyer une image d'imposture. Quelques exemples : la personne qui vous sollicite pour avoir des contacts de formateur.trice.s pour un atelier que vous pouvez vous-même animer et que quand vous le lui signalez, elle vous dit que c'est du sérieux quand même... l'amie prête à te soutenir mais qui te demande une grosse réduction sur ta formation (voire la gratuité) non seulement pour elle mais aussi pour son réseau car sinon "elle va avoir du mal à la vendre". Bref, ne nous laissons pas déstabiliser par ces expériences et ces personnes qui ne perçoivent pas notre valeur et continuons à avancer, avec ou sans leur soutien. Car par ailleurs, il y a plein d'autres personnes qui croient en nous !


Me prendre la tête avec ma rémunération


En quittant un salaire très confortable dans un grand groupe, je savais que j'allais subir une perte de rémunération significative en rejoignant le secteur de l'ESS. La crise aidant probablement, il s'avère que j'ai divisé ma rémunération par près de 4. Cela m'a conforté dans le fait que j'étais probablement surpayée dans ce que je faisais avant. Dans nos sociétés, que des personnes qui sauvent des vies ou la planète gagnent bien leur vie choque. En revanche, pas grand monde ne s’émeut devant les salaires des employé.e.s de sociétés qui détruisent notre environnement ou accentuent les disparités sociales. Peut être est-ce le prix accepté de l'omerta : pas de contestation et beaucoup de résignation.


Et pourtant bien que je sois consciente de cela et surtout dans une situation financière sécurisée, j'ai réalisé cette année que je ne n'avais pas fait totalement le deuil de ce schéma de rémunération et que chaque négociation sur mon taux journalier moyen (TJM) était une souffrance. J'ai eu la chance d'avoir eu la possibilité de me faire accompagner sur cette problématique par une coach en cours de certification. J'ai en effet été inscrite par une ancienne collègue à une "bourse aux coachés”. C’est un programme organisé par certaines écoles de coaching qui permet à tou.te.s de bénéficier d’un coaching gratuit avec un de leurs élèves en formation.


Grâce à cet accompagnement, j'ai pu analyser ce qui dans mon passé avait influencé mon rapport à l'argent depuis toujours et les peurs que le manque d'argent suscitait chez moi. J'ai appris à déconstruire les modèles de réussite sociale qui furent longtemps les miens et à dissocier la valeur de mon travail de ma valeur en temps que personne. J'ai réussi à définir la fourchette de rémunération avec laquelle je suis sereine. Enfin, je suis parvenue à identifier tout ce que mon nouveau statut d'indépendante m'apportait au delà d'une rémunération, à savoir du temps pour me continuer à me former, du temps pour ma famille, du temps pour soutenir bénévolement des projets qui ne pourraient pas me rémunérer.


Au même moment, je lisais un article sur la semaine de 28h, une proposition des 150 de la Convention Citoyenne pour le Climat, qui hélas selon moi, n'aura pas été retenue dans la version finale de leurs mesures remises au gouvernement. Cet article vante les mérites et pose les conditions d'une journée de travail de 5h. Et se termine par une citation : "Nous avons une seule vie, et la passer à travailler n’a aucun sens (...)". Et cela cela m'a beaucoup soulagée par rapport au regard que je portais sur ma "performance". J'aborde donc cette nouvelle année beaucoup plus sereine sur ce sujet.


Ce que j'ai décidé de tester


Rééquilibrer mon activité : ampleur vs. profondeur


Cette question était également abordée par Matthieu Dardaillon dans ce qu'il appelle "la stratégie d'impact" où il interroge : "Est-ce que vous préférez toucher 1 million de personnes en les aidant un peu ? Ou changer totalement la vie de 10 personnes ?". L'ampleur vs la profondeur.


J'ai longtemps été persuadée que ma préférence était de m'inscrire dans quelque chose qui me dépassait et était plus grand que moi. Et c'est ce qui m'a plu dans le digital learning : pouvoir impacter des centaines, voire des milliers de personnes avec la même formation grâce à internet.


Mais en me reposant cette question après un an d'activité, je dois reconnaître que je ne suis jamais aussi galvanisée qu'à l'issue d'un atelier de la Fresque Climat, d'une classe virtuelle sur la parentalité éco-responsable ou encore d'une session de facilitation avec mon groupe de personnes en recherche d'activité. Tout simplement car j'ai un retour direct sur mon impact... et quand je vois les gens avec le sourire ou les yeux qui pétillent, ou encore se poser des questions et réfléchir, ça n'a pas de prix pour moi. Mon objectif pour la suite est donc d'accroître la part de ce type de projets, aujourd'hui minoritaires dans mon activité. A voir si les conditions sanitaires et économiques le permettent !


Merci à tous ceux qui ont pris le temps de me lire et surtout de me soutenir durant cette première année un peu spéciale. To be continued...

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