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Isolement social et crise du covid19 : entretien avec Jean-François SERRES de l'association MONALISA

Dernière mise à jour : 9 avr. 2020

"La crise actuelle est un révélateur de l'effort indispensable à faire pour créer de la résilience sociale dans notre société."



L'association MONALISA, dont vous êtes le Référent National, est fortement mobilisée depuis le début de la crise du covid19 et plus particulièrement depuis que le confinement a démarré, pourquoi ?


Avec le début du confinement, le gouvernement a défini 4 missions de solidarité vitales à mener. Le maintien du lien social avec les personnes fragiles isolées et la solidarité de proximité en font partie (*). Actuellement, il existe une véritable mise en danger de certaines personnes qui ne savent pas vers qui se tourner pour des choses aussi essentielles que continuer à s'alimenter ou renouveler leur traitement médical. Elles peuvent également glisser petit à petit vers des situations de dépression, de détresse psychologique.


Cela confirme la perception que nous avions avec tous les acteurs du réseau MONALISA (**), la Mobilisation Nationale contre l'Isolement des Âgés, et sur laquelle nous essayons d'alerter depuis des années: les gens peuvent mourir d'isolement social. Nous sommes également confortés dans le fait que notre démarche de pousser des modes de coopération au niveau local, est adaptée aux situations de crise. Et nous sommes heureux de pouvoir mettre à disposition de l’État et de toute personne qui souhaite s'en emparer, les outils que nous avons développés ces 7 dernières années.


Comment se matérialise concrètement le travail que vous réalisez actuellement ?


Tout d'abord, nous travaillons en lien étroit avec le Ministère de la Santé. Ce dernier a missionné Jérôme Guedj afin d'identifier tous les leviers pour combattre l'isolement des personnes âgées de plus de 70 ans. Il est indispensable de réunir toutes les "capacités à faire" afin d'éviter des drames potentiels si certaines d'entre elles venaient à "rester dans l'invisibilité".


Ensuite, nous avons interpellé tous les grands acteurs et les grandes associations de notre réseau. Notre objectif était de géolocaliser rapidement et en continu toutes les équipes citoyennes en action sur le territoire. Notre équipe travaille également en lien étroit avec toutes les coopérations territoriales existantes, individuellement et collectivement, afin de diffuser largement leurs outils et bonnes pratiques. Le but est de tourner à plein régime pour répondre rapidement aux besoins générés par la crise actuelle.


“Le véritable défi pour nous est de parvenir à rejoindre "les invisibles" (...) qui courent le plus grand danger.”

Avec quelle efficacité peut-on lutter contre l'isolement à distance ?


Quand nous sommes déjà en lien avec les personnes isolées, nous constatons que la transformation, la dématérialisation des relations s'opèrent finalement assez facilement. Le téléphone et les outils numériques (mail, visioconférence) sont des outils formidables pour rester en contact. Le véritable défi pour nous est de parvenir à rejoindre "les invisibles", toutes ces personnes que nous ne connaissons pas, car ce sont elles aujourd'hui qui courent le plus grand danger.

Il faut déjà parvenir à les identifier, n'oublier personne. Cela peut représenter un défi lorsque cela n'a pas été organisé en amont. Heureusement, les institutions disposent d'observatoires avec des listes de personnes potentiellement isolées. Par exemple, aujourd'hui, certains bailleurs ont mis en place des appels téléphoniques réguliers de leurs locataires âgés. Et bien entendu, le rôle des citoyens, avec le regard bienveillant qu'ils peuvent poser sur leur entourage, leur voisinage, est également clé.


Une fois ces personnes identifiées, il faut parvenir à entrer en contact avec elles. Il peut y avoir des obstacles techniques, si la personne n'a pas le téléphone, par exemple. Au-delà de cela, nous sommes parfois en proie à des barrières plus psychologiques : Comment faire pour établir le contact avec la personne ? Comment la mettre en confiance ?


Enfin, il faut parvenir à construire une relation sur la durée, afin de pouvoir véritablement s'assurer que la personne va bien et qu'elle n'est pas en danger. Pour cela, nous avons mis des guides et outils à disposition des équipes, afin qu'elles parviennent à créer cette relation de confiance et être réellement dans une posture d'écoute active. Les bénévoles peuvent également avoir besoin de "coaching" pour obtenir un retour sur ce qu'ils font. Mais aussi pour se décharger et être soutenus à leur tour émotionnellement, car les échanges peuvent être éprouvants. Ainsi, des collectifs de psychologues ont proposé de se tenir à leur disposition. Enfin, il peut y avoir aussi besoin d'un "back-office" afin orienter rapidement et efficacement les personnes isolées vers les organismes compétents quand leurs besoins dépassent la compétence de ceux.celles qui les écoutent.

La difficulté aujourd'hui est plutôt de parvenir à orienter les personnes volontaires sur des missions, d'organiser celles-ci correctement sur le terrain.

Le bénévolat fonctionne beaucoup avec l'aide des seniors. Dans le contexte actuel, comment opèrent les associations ?


La position des associations est claire: les bénévoles âgés de plus de 70 ans ne peuvent envisager que des missions à distance. Les missions présentielles ne peuvent être assurées que par des bénévoles plus jeunes. Heureusement, la crise a suscité un élan de solidarité fort de la part de nos concitoyens. Le site de la réserve civique, auquel nous avons contribué, a enregistré plus de 200 000 inscriptions depuis le début de la crise. Nos associations ne comptent plus les propositions de personnes voulant aider.


La difficulté aujourd'hui est plutôt de parvenir à orienter les personnes volontaires sur des missions, d'organiser celles-ci correctement sur le terrain. Une mission n'apparaît pas aussi vite que le désir d'aider. C'est plus long à définir. Il faut identifier l'action qu'il convient de mener, avec qui, dans quel cadre. Tout cela prend du temps. Heureusement, la réponse peut être rapide s'il existe sur le territoire un corps d'acteurs déjà engagés dans la coopération. Nous le voyons avec nos coopérations matures, expérimentées; les délais pour ouvrir des missions sont beaucoup plus courts. En revanche, pour les territoires qui découvrent l'enjeu de l'isolement social avec la crise, c'est plus difficile. Il convient alors qu'ils se rapprochent d'autres territoires déjà actifs afin d'éviter les tâtonnements, les erreurs et de répondre plus vite. C'est justement le rôle de MONALISA que de favoriser ces échanges.

Il faut sortir de ce regard un peu "hautain" qui porte à croire que l'engagement bénévole est là pour faire de l'animation, occuper des gens (...)

Alors qu'avec le réchauffement climatique, on nous prédit de plus en plus d'épisodes de canicules, l'apparition de nouvelles maladies, quelles peuvent être les leçons à tirer de la crise actuelle ?


La crise actuelle est un révélateur de l'effort indispensable à faire pour créer de la résilience sociale dans notre société. Lorsque les personnes ne bénéficient pas de la protection, de l'encouragement, de la sécurité que procurent des relations de qualité, elles courent un véritable danger quand de telles crises apparaissent. Il est donc critique que les pouvoirs publics réinvestissent dans des dynamiques d'engagement citoyen dans la proximité. Il faut sortir de ce regard un peu "hautain" qui porte à croire que l'engagement bénévole est là pour faire de l'animation, occuper des gens un peu "poussiéreux", alors qu'on réalise aujourd'hui le rôle essentiel que nos bénévoles jouent dans nos sociétés.


L'engagement citoyen est tout simplement ce qui est au cœur de notre société, ce qui nous permet de créer de la concorde et même de faire société. Si cet engagement est fort, alors les crises telles que celle que nous connaissons aujourd'hui pourront être traversées avec beaucoup moins de dommages. Comme je le disais l'année dernière dans mon livre "Vaincre l'isolement : un engagement à portée de main", il ne serait ni trop coûteux, ni trop complexe pour l'État et les citoyens de mettre en œuvre une véritable politique de fraternité. Au final, rien ne nous en empêche, sauf peut-être de véritablement le comprendre.


(*) Les 2 autres missions vitales sont l'aide alimentaire et d'urgence et la garde d'enfants de soignants ou d'une structure de l'Aide Sociale à l'Enfance.

(**) A ce jour, il y a plus de 500 signataires de la Charte MONALISA.


Retrouvez Jean-François Serres dans la série de vidéos "Comprendre et prévenir l'isolement" sur :


Pour en savoir plus sur l'association MONALISA et la collaboration avec Savoirs Précieux, c'est par 👉 ici.


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